La Cour des comptes pointe l’habitude de l’administration fiscale d’infliger des sanctions moins lourdes aux contribuables avec lesquels elle est parvenue à un accord. Une politique sans doute efficace, admet-elle, mais qui manque de fondement légal.
Poser des questions tout sauf affriolantes et néanmoins fondamentales. Telle est, en quelque sorte, la mission du gendarme financier belge. Qui, dans un rapport publié ce mardi, s’est penché sur les sanctions que peut infliger l’administration fiscale aux contribuables ne remplissant pas pleinement, ou pas du tout, leurs obligations en matière d’impôts directs – dans les faits, il est essentiellement question de l’impôt sur les personnes physiques (IPP) et de l’impôt sur les sociétés (Isoc).
- Comment fonctionne le régime de sanctions?
La bible en la matière, rappelle la Cour des comptes, c’est le Code des impôts sur le revenu (CIR). Quitte à schématiser un rien, le CIR prévoit deux types de sanctions.
À ma gauche, l’accroissement d’impôts, qui consiste, en cas de déclaration incomplète ou inexacte, à majorer les impôts dus sur la partie non déclarée des revenus. Une sorte de surtaxe qui peut varier entre 10% et 200%, en fonction de la nature de l’infraction et de son éventuelle répétition – en guise de repère, sachez que la barre des 50% est franchie lorsqu’il y a intention d’éluder l’impôt. À ma droite, l’amende administrative qui peut tomber pour toute infraction au CIR, “indépendamment du fait qu’un impôt soit dû ou non”.
Pour déterminer le montant de la sanction, le SPF Finances peut s’appuyer sur des applications (Taxi et Biztax) offrant un certain niveau d’automatisation – pour l’IPP, l’accroissement peut être calculé par la machine, tandis qu’en matière d’Isoc, les sanctions sont encore du ressort exclusif de l’agent. Ce qui facilite certes la tâche, mais peut également causer quelques soucis, souligne la Cour. Car deux systèmes, l’un manuel et l’autre automatisé, coexistent parfois, notamment quand il est question de déterminer si une infraction relève, ou non, de la récidive. “Ceci génère un risque d’erreurs”, tranche le rapport.
Autre limite, le système informatique n’est pas capable de remettre à zéro les accroissements d’impôts dont la majoration n’atteint pas le seuil minimal requis. C’est aux agents des services de contrôle de passer derrière la machine afin de s’assurer du respect de la règle. “Un contrôle imparfait“, selon la Cour, qui a relevé un taux d’erreur de 5%.
2. Des chiffres
Que pèsent ces sanctions? Prenez les dossiers ayant fait l’objet de contrôles. Du côté de l’administration générale de la fiscalité (AG Fisc), en moyenne, la part des accroissements dans le total des impôts enrôlés oscille autour des 10%, qu’il s’agisse de l’IPP ou de l’Isoc – à noter que l’on observe toutefois un pic à 25% du côté de l’Isoc pour l’année de contrôle 2016. Du côté de l’Inspection spéciale des impôts (ISI), qui combat la fraude “grave et organisée“, l’addition est forcément plus lourde. Dans un dossier, l’accroissement pèse ici, en 2016, 17,3% de l’IPP enrôlé – un score en baisse permanente depuis au moins 2011 – ou 56,4% de l’Isoc – ici, par contre, cela grimpe.
3. Perception des sanctions
Qui dit sanction dégainée ne dit pas forcément argent qui rentre dans les caisses de l’État. Jugez plutôt, en observant le cas particulier des contribuables sur lesquels a été collée l’étiquette “non-déclarants récalcitrants“, qui sont entrés dans le viseur de l’administration suite à un audit réalisé en 2012 par la Cour des comptes. “L’administration fiscale ne peut percevoir environ un quart des accroissements à l’impôt des personnes physiques“, note le rapport, tandis que 29% du montant des amendes ne sont pas payés. En cause: faillite, mise en liquidation, réorganisation judiciaire ou insolvabilité. “La perception des sanctions en matière d’impôt des sociétés est beaucoup plus problématique encore. 69% des accroissements ne sont pas perçus.”
4. Égalité de traitement
La Cour a remarqué que le SPF Finances a la main nettement moins lourde avec les contribuables ayant passé un accord avec lui. Prenez l’AG Fisc. À l’IPP, l’administration n’inflige aucun accroissement dans 60% des dossiers ayant fait l’objet d’un accord, contre 40% en cas de désaccord. Et le taux de 50% est rarement infligé si entente il y a. “La tendance à des sanctions plus clémentes en cas d’accord est encore nettement plus prononcée à l’impôt des sociétés, établit le rapport.” Près de 50% des dossiers ayant fait l’objet d’un accord éviteront tout accroissement, contre un petit 20% si l’administration et le contribuable ne sont pas parvenus à s’entendre.
La Cour des comptes comprend bien les “considérations d’efficience” qui sous-tendent cette position. Seulement, elle constate qu’il s’agit là d’une sorte de coup de canif donné aux “garanties d’égalité de traitement entre contribuables“, en “l’absence de fondement légal et de directives claires” permettant de réduire la peine en cas d’accord, “la doctrine dominante excluant une ‘transaction’ au sens strict du Code civil entre l’administration fiscale et un contribuable”. Afin de poursuivre dans cette voie, il faudra sans doute passer par une “initiative législative qui accorderait à l’administration fiscale une plus grande marge de manoeuvre pour déterminer le taux de sanction à appliquer en fonction de la collaboration du contribuable”, suggère la Cour.
5. Suivi des sanctions
La Cour des comptes regrette enfin que le SPF Finances ne tienne toujours pas de relevé global des sanctions appliquées et de leurs résultats. “Seule l’ISI est en mesure d’établir un lien entre le montant enrôlé, y compris les accroissements d’impôts, et les montants perçus.” Et d’appeler à nouveau à développer des instruments permettant de vérifier que la politique de sanction atteint les objectifs fixés.